(English translation follows below.)
Cette chronique a été publié par L’actualité en ligne plus tôt cette semaine. J’ai le plaisir de faire parti de l’équipe de journalistes et analystes de son infolettre de campagne. J’écrirai une chronique par semaine pour L’actualité pendant toute la campagne électorale.
La COVID-19 n’existe plus pour la caravane caquiste. Samedi, la veille du déclenchement des élections, j’ai porté mon masque obligatoire pendant six heures dans le train Via d’Ottawa à Québec. Or, je voyage depuis dimanche avec François Legault et la Coalition Avenir Québec (CAQ) : aucun masque, aucun test rapide, aucune question sur mon statut vaccinal (triple Moderna, pour les curieux).
Mardi matin à Saint-Georges, en Beauce, un collègue a demandé à M. Legault si les restrictions ou la simple prudence l’amenaient parfois à modifier son plan de campagne, ou s’il faisait campagne comme il le voulait. La réponse fut limpide : «Comme je veux. »
Je ne critique aucunement cet aspect de la campagne caquiste, qui, sauf erreur, ressemble à celles des autres formations politiques sur ce point. J’en fais état simplement pour constater le chemin parcouru. Il y a un an presque jour pour jour, les chefs des partis fédéraux étaient en pleine campagne, chacun dans sa bulle. Les journalistes qui accompagnaient Justin Trudeau devaient subir des tests rapides. Erin O’Toole ne voyageait presque pas, préférant rester à distance des foules dans une salle de bal de l’hôtel Westin, à Ottawa, réaménagée en studio télé.
À ce moment-là, on débattait de l’après-COVID ; là, on y est. En 2021, on échafaudait des hypothèses sur les lendemains de la pandémie ; là, on sait. Pas tout, mais beaucoup plus. Avant, certains osaient espérer un renouveau de la mission des gouvernements et des États ; aujourd’hui, l’inquiétude règne.
Justin Trudeau a longtemps été un apôtre du « rebâtir en mieux », cette idée selon laquelle les forces progressistes émergeraient du confinement pour inaugurer une nouvelle ère de gouvernance à leur image. « On peut choisir d’adopter de nouvelles solutions audacieuses pour relever les défis auxquels on est confrontés et refuser de laisser les anciennes façons de penser freiner nos progrès », a-t-il dit le jour où il a accepté la démission de son ministre des Finances Bill Morneau, en 2020. « Si cette pandémie est un défi inattendu, elle constitue également une opportunité sans précédent. »
Personne cette semaine ne parle de circonstance opportune ; l’audace manque aussi. On ne saurait blâmer les politiciens. On a remarqué la similitude des politiques prônées par divers partis, la tentation de se servir du Fonds des générations comme d’une tirelire. C’est que les chefs font une lecture semblable de la conjoncture, de ses limites et de ses risques.
Dans l’entourage de François Legault, on dit que le premier défi est l’économie, non pas au sens large, mais telle que vécue par le citoyen ordinaire : coût de la vie, inflation, incertitude, fins de mois parfois difficiles. Le deuxième défi est la santé. M. Legault évoque cinq thèmes de campagne, ajoutant l’éducation, l’environnement et la défense de l’identité québécoise aux deux premiers. La hiérarchie est cependant claire: s’il échoue au test de l’inquiétude relativement à l’économie et à la santé, il ne sera pas écouté sur le reste.
Ce n’est pas pour rien que le premier ministre sortant qualifie ses propositions pour pallier les effets de l’inflation de « bouclier ». Les Québécois sont en mode défense. Les épées devront attendre.
Il est fascinant de suivre François Legault. Son plaisir à prendre des bains de foule est évident et dépasse ce que j’ai pu constater chez beaucoup de ses prédécesseurs. En trois jours de campagne, on n’a jamais été en retard sur l’agenda du jour, probablement parce que son entourage prévoit toujours plusieurs minutes pour son entrée dans une salle et sa sortie. Ce ne sont pas toujours des foules de militants, M. Legault fait face parfois à des questions ou commentaires acerbes d’électeurs. Certains plus qu’acerbes même. Lors d’un point de presse dans une épicerie à Saint-Anselme, dans la circonscription de Bellechasse, un jeune homme a écouté avec patience avant de crier : « On a hâte qu’il se fasse câlisser dehors ! » Le jeune homme s’est lui-même vite retrouvé dehors, grâce aux soins somme toute assez discrets d’un immense policier de la Sûreté du Québec.
Au microphone lors de ses deux points de presse quotidiens, par contre, le chef caquiste parle avec prudence. Il n’aime pas élaborer des hypothèses. Quand j’ai posé une question un peu théorique sur les effets macroéconomiques de sa proposition de baisse d’impôt, sa réponse a été courte. Dimanche, en sortant de la dernière réunion préélectorale de son Conseil des ministres avant de visiter le lieutenant-gouverneur pour déclencher les élections, il en a surpris plusieurs en déclarant que son objectif stratégique était d’obtenir « 63 sièges », soit la plus courte des majorités absolues. Il en avait déjà 76 ; des sondages lui en donnent 99. En coulisses, un stratège caquiste m’a dit que François Legault allait évidemment chercher à élargir sa majorité, mais il a aussi répété le chiffre de 63. Chaque campagne comprend sa part d’aléatoire. Il faut se garder de tout triomphalisme.
En 1998, alors que l’air du temps était à la poursuite du déficit zéro, j’ai assisté à l’investiture de Lucien Bouchard comme candidat à sa réélection dans la circonscription de Jonquière. Bruno Pelletier est venu chanter « Le temps des cathédrales », tirée de la comédie musicale Notre-Dame de Paris. Le chanteur peut chômer en cette fin d’été ; c’est plutôt le temps des prestations et des baisses d’impôt qui est venu. Les chiffres en jeu sont énormes : 11 milliards de dollars pour la seule première journée de la campagne caquiste, mais on laisse à chaque citoyen qui recevra un chèque le soin de décider quoi en faire. Mardi, M. Legault a visité une école secondaire de Sherbrooke pour annoncer qu’il la remplacerait par un bâtiment neuf, adapté aux besoins éducatifs contemporains. Le prix : 164 millions de dollars, le dixième de ce qu’il avait promis pour la bonification du soutien aux aînés quelques heures plus tôt.
Quels gestes structurants l’État peut-il faire pour améliorer la situation de tous les Québécois ? La question ne se pose même pas. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une critique, mais d’un constat. La modestie, la réticence de François Legault sont partagées, dans une large mesure, par les chefs des autres partis. Dans son livre L’énergie du Nord, la force du Québec, publié en 1985 juste avant son retour triomphal au pouvoir, Robert Bourassa a écrit au sujet de la production hydroélectrique : « Ceci constitue, sans l’ombre d’un doute, une dimension importante de notre destin. » Qui parle du destin aujourd’hui, ou d’une circonstance opportune sans précédent ? Ces idées, ces réflexes reviendront peut-être un jour. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas au « rebâtir en mieux », mais plutôt au « rebâtit qui peut ».
There’s no more COVID-19 on François Legault’s campaign. Saturday, the day before the campaign leading to an Oct. 3 Quebec election began, I wore my obligatory mask for six hours in the Via train from Ottawa to Quebec City. but from Sunday to Wednesday, travelling with Legault and his Coalition Avenir Québec (CAQ), there were no masks, no rapid tests, no questions about my vaccine status. (Triple Moderna, if anyone’s wondering.)
Tuesday morning in Saint-Georges, in the Beauce region south of Quebec City, another reporter asked Legault whether the restrictions or simple caution were influencing his campaign itinerary, or whether he was able to campaign as he pleased. The answer was short: “As I please.”
I don’t feel like criticizing this aspect of the CAQ campaign. As far as I can gather, every party is campaigning the same way this summer. I’m just struck by how quickly things have changed. A year ago, almost to the day, the federal party leaders were campaigning, each in his or her own bubble. Reporters traveling with Justin Trudeau had to take rapid tests. Erin O’Toole was hardly traveling at all, preferring to keep away from crowds in a ballroom at the Ottawa Westin that had been converted into a TV studio.
Back then leaders were debating about life after COVID; now they’re in it. In 2021 everyone had a hypothesis about the aftermath of the pandemic; now we know. Not everything, but a lot more than we did.
Before, some dared to hope for a rebirth of faith in the work of governments and nations; now there is only worry.
Justin Trudeau talked for a long time about “building back better,” the belief that progressive forces would emerge from lockdown to usher in a new era of government in their image. “We can choose to embrace bold new solutions to the challenges we face and refuse to be held back by old ways of thinking,” he said the day he accepted Bill Morneau’s resignation in 2020. “As much as this pandemic is an unexpected challenge, it is also an unprecedented opportunity.”
Nobody this week is talking about unprecedented opportunity on the campaign trail. Boldness is in short supply too. I can’t entirely blame politicians for this. People are talking about how much the various Quebec parties’ policy proposals resemble one another, how many of them are tempted to raid the province’s Generations Fund like a piggy bank. I think it’s because the party leaders have a similar reading of the moment, of its limits and risks.
Legault’s advisors say the main challenge is the economy, not in the macroeconomic sense but the way it’s experienced by ordinary people: cost of living, inflation, uncertainty, trouble making ends meet. The second challenge is health. Legault keeps talking about five campaign themes, adding education, environment and the “defence of the Quebec identity” — Bills 21 and 96 — to the other two. but the hierarchy is clear: If he can’t calm voters’ worry on the economy and health care, he won’t get a hearing on the other stuff.
It’s not a random word choice that has the incumbent premier calling his efforts to counteract the effects of inflation an “inflation shield.” Quebecers are in a mood to play defence. Swords can wait.
Legault is fascinating to watch. It’s obvious how much he enjoys wading into a crowd to shake hands, more so than what I’ve seen in many of his predecessors. In three days on the campaign trail, we never fell behind schedule, probably because his tour staff builds in several minutes for pressing the flesh, every time he needs to enter or leave a room. These aren’t always screened and invited supporters. Legault sometimes faces biting comments or questions from voters. Sometimes more than biting. During a scrum at a grocery store in Saint-Anselme, in the Bellechasse riding, a young man listened to Legault patiently before shouting, “We can’t wait to kick him the fuck out!” It was in fact the young man who soon found himself outside, following the relatively low-key intervention of a mountainous Sûreté du Québec officer.
At the microphone during question-and-answer sessions with reporters — he’s been doing two of those per day — the CAQ leader chooses his words carefully. He doesn’t like to get drawn out on hypotheticals. When I asked a somewhat academic question on the macroeconomic effects of his tax-cut plank, he kept his answer short. Sunday, leaving his final pre-election cabinet meeting on his way to visit the Lieutenant Governor to dissolve the National Assembly, Legault surprised some observers by saying his election goal is “63 seats,” the bare minimum for a majority. He already has 76 seats. Polls suggest he’s on track to get something like 99. One advisor told me Legault is obviously working to get the largest majority he can get, but the advisor also repeated the “63” number. Every campaign deals its share of wild cards. No point counting eggs before they hatch.
In 1998, in his first campaign as Quebec’s incumbent premier, I went to the nomination meeting at which Lucien Bouchard was acclaimed as the Parti Québécois candidate for Jonquière. Bruno Pelletier was on hand to sing “Le temps des cathédrales,” from the hit musical Notre-Dame de Paris. It’s an unashamedly over-the-top song: “The time for cathedrals has come/ The world has entered a new millennium/ Mankind wants to climb to the stars/ Write its history in glass and stone.”
Pelletier can take the rest of the summer off. These days it’s the time for benefits and tax cuts that has come. The numbers are huge — $11 billion in promises on the first day of the CAQ campaign alone — but it’s up to each citizen who gets a cheque to decide what to do with it. On Tuesday Legault visited a Sherbrooke high school to announce he plans to replace it with a new one that’s up to the building code and current ideas about pedagogy. It’ll cost $164 million. That’s one-tenth of what Legault had promised for enhanced seniors’ benefits a few hours earlier.
What big structural investments can the Quebec state make to improve every Quebecer’s life? The question isn’t even getting asked. Again, I’m actually not interested in levelling a criticism, but in reading the room. The limited scale of Legault’s ambition is shared in large measure by the leaders of the other parties.
In his 1985 book Power from the North, published just before his triumphant return to power after nearly a decade, Robert Bourassa wrote, referring to his dream for a network of hydroelectric generating plants: “This constitutes, beyond the shadow of a doubt, an important dimension of our destiny.” Who’s talking about destiny today, or unprecedented opportunity? These ideas — these reflexes — might return someday. But for now, it’s not “Build Back Better” so much as “Build back if you can.”
Cher Paul, excellent article. Je suis un ‘ptit gars de Loretteville et je suis très impressionné de votre maitrise de la langue de Molière!
J’ai hâte a votre prochain article.
Bien à vous et merci.
You’re bang on in observing that the time for big dreams has been eclipsed by the era of dealing with immediate needs. A reflection of our shortened attention spans and modern me-firstism?