Le débat des conservateurs en français, ou presque
Deux contre un, avec trois abstentions
(A complete English translation of this post appears below — pw)
Pas fameux lorsque les deux moments forts d’un débat sont ceux où le signal vidéo en provenance de Laval gèle. Visiblement le Parti conservateur du Canada ne maîtrise pas encore Internet. [MISE À JOUR: J’apprends, de source sûre au PCC, que leur signal n’a jamais trébuché, et que c’est le diffuseur qui a eu des problèmes techniques — pw] Tout comme trois des candidats à sa chefferie ne maîtrisent pas encore le français. Trois ou quatre: Patrick Brown était parfois d’une efficacité surprenante, parfois incompréhensible. Je sympathise. J’ai déjà joué dans ce film-là.
Pour le reste, ceux qui souhaitent depuis le début de cette course un duel en face-à-face entre Jean Charest et Pierre Poilièvre, c’est grosso modo ce qu’ils ont eu, puisque seuls M. Charest et M. Poilièvre étaient capables d’improviser dans la langue de Molière, ou du moins, dans le cas de Poilièvre, celle de Sheila Copps. Les autres candidats — le député provincial ontarien Roman Baber, la députée Leslyn Lewis et le député Scott Aitchison, quasiment inconnu mais par ailleurs fort charmant — furent réduits au rôle de figurants, le plus souvent forcés de lire des déclarations préparées sur les thèmes généraux, plutôt que de répondre aux questions. Je suis certain que Mme. Lewis n’a pas compris la moitié des questions. M. Aitchison s’est livré à une partie de lutte professionnelle contre le mot “néerlandais” qui a dû durer trois minutes. Match nul selon moi.
Restait les Poilièvre, Charest et Brown-à-efficacité-variable. Le meneur présumé, M. Poilièvre, a vécu une soirée difficile, d’une part parce que son français plus qu’honorable ne lui a pourtant pas toujours permis de riposter avec aise aux attaques, d’autre part parce que, justement, c’est lui qui a dû subir la majorité des attaques. M. Brown, maire de Brampton qui a dû quitter la chefferie du parti provincial conservateur ontarien en 2018 pour une histoire d’inconduite sexuelle apparente au sujet duquel ses rivaux restent étonnamment silencieux, n’a joué à peu près d’autre rôle mercredi soir que de lancer des flèches à M. Poilièvre. Ce dernier a écrit “3,000 tweets en sept ans,” disait M. Brown, mais s’est “caché dans sa cave” plutôt que de dire un mot contre des mandats vaccinaux avant que la course à la chefferie ne s’amorce. “Votre position sur le Bitcoin est la même que [celle d’] El Salvador,” a-t-il martelé à un autre moment. Je me demande par ailleurs si M. Poilièvre gagne assez d’appuis chez les adeptes de Bitcoin pour compenser la moquerie ouverte d’à peu près tous les autres candidats sur cette question. Même Mme. Lewis s’est ralliée le temps de dire que, sur l’argent numérique comme paravent contre l’inflation, Poilièvre est “dans les patates.” Trouver un thèse farfelu que même Leslyn Lewis ne partage pas, faut le faire.
M. Poilièvre semblait vouloir projeter un image plus calme et digne, après s’être fait remarquer aux deux débats en anglais comme un bagarreur. Or il n’en a pas eu le luxe. L’objet des tirs groupés venant de M. Charest et M. Brown a dû se défendre. Il en a perdu un peu de son élan habituel. “Personne ne peut vous croire,” a-t-il dit à M. Brown. “Vous êtes en train de ne pas dire la vérité maintenant.”
M. Charest, quasiment le seul candidat à exister en trois dimensions tant il dépassait les autres par la qualité de son français, a eu la partie facile. Ce qui est moins certain, c’est s’il est candidat pour une formation qui existe, elle, dans le monde du réel. M. Charest voudrait garder en place les ententes avec les provinces pour les centres de la petite enfance que Justin Trudeau a signés avec les provinces. Il veut “faire une loi pour donner des pouvoirs aux policiers pour éviter” que le convoi des camionneurs se reproduise. Rares sont les conservateurs qui croient, selon ce que j’ai pu entendre, que c’étaient des pouvoirs policiers qui manquaient lors du Siège d’Ottawa.
Le pari de M. Charest, c’est que les conservateurs seront plus intéressés à retourner au pouvoir que de se laisser tenter par “un pseudo-américain,” c’est-à-dire par Poilièvre. Ou que des gens qui n’étaient pas membres du Parti conservateur en début d’année voudront bien en devenir en assez grand nombre pour porter le roi des pragmatistes jusqu’à la chefferie. “Les libéraux [fédéraux de Justin Trudeau, ndlr] n’ont pas gagné les élections de 2021,” a-t-il dit. “C’est les conservateurs qui les ont perdus, parce qu’ils étaient distraits par toutes sortes de niaiseries.” Ceci en indiquant M. Poilièvre d’un geste.
Je serais étonné que le pari de M. Charest soit gagnant. Il part de tellement loin. Mais je constate que M. Poilièvre a passé presqu’autant de temps à répliquer aux attaques de M. Brown qu’à celles de M. Charest. Ce qui tend à suggérer que M. Brown pèse dans cette course, grâce à sa stratégie qui consiste à vendre des memberships en quantité aux électeurs issus de l’immigration. M. Poilièvre doit être content que le seul débat en français soit derrière lui, et qu’il ait été tellement pénible que presque personne ne l’aura écouté. Des soirées comme celle-là, il s’en passerait volontiers. Le momentum dont il disposait jusqu’à la semaine dernière, il devra le retrouver ailleurs.
It’s not great when the two high points of a debate are the moments when the video signal from Laval cuts out. Looks like the Conservative Party of Canada hasn’t mastered the internet, any more than three of its leadership candidates have mastered French. [UPDATE: I hear from a Conservative Party source I trust that their signal had no glitches, and that it was the broadcasters’ feed that kept freezing. - pw] Three or four: Patrick Brown was sometimes surprisingly effective, sometimes incomprehensible. I sympathize. I’ve been there.
As for the rest, those who’ve been hoping for a one-on-one confrontation between Jean Charest and Pierre Poilièvre got just that, because only Charest and Poilièvre were able to improvise in the language of Molière, or at least, in Poilièvre’s case, that of Sheila Copps. The other candidates — the Ontario provincial MPP Roman Baber, the MP Leslyn Lewis and the MP Scott Aitchison, a near-total unknown but still charming for all that — were reduced to roles as extras, usually forced to read prepared declarations on the debate’s themes rather than answering the actual questions. I’m certain Lewis didn’t understand half the questions. Aitchison found himself in a wrestling match with the word “néerlandais” [Dutch] that must have lasted three minutes. I’d score it a tie.
Poilièvre, Charest and the sometimes-effective Brown were the only ones left standing. The presumed frontrunner, Poilièvre, had a rough night, partly because his very good French didn’t quite permit him to reply with ease to attacks, partly because, indeed, most of the night’s attacks were aimed at him. Brown, the Brampton mayor who had to quit the Ontario provincial party’s leadership in 2018 over disputed claims of sexual misconduct his opponents are extraordinarily reluctant to discuss, played essentially no other role besides making digs at Poilièvre. Poilièvre wrote “3,000 tweets in seven years,” Brown said, but he “hid in his cellar” rather than say a word against vaccine mandates until the leadership race kicked off. “Your position on Bitcoin is the same as El Salvador’s, he said at another point. I find myself wondering whether Poilièvre is picking up enough support among Bitcoin aficionados to be worth the open mockery he gets from all his opponents on the subject. Even Leslyn Lewis managed to say that on the question of cryptocurrencies as a hedge against inflation, Poilièvre is “out to lunch.” It takes real effort to find a theory so far out that even Leslyn Lewis doesn’t buy it.
Poilièvre seemed to want to project a calmer and more dignified appearance, after standing out in two English debates for his scrappy style. But he didn’t have the luxury. Facing a Charest-Brown pile-on, he had to defend himself. It made him lose a bit of his poise. “Nobody can believe you,” he said to Brown. “You are in the process of not saying the truth right now.”
Charest, practically the only candidate to exist in three-dimensional space, he so outpaced the others with the quality of his French, had an easier time. What’s less clear is whether he’s a candidate for the leadership of any party that might exist in the real world. Charest wants to maintain Justin Trudeau’s child-care deals with the provinces. He wants to “pass a law to give the police powers to avoid” another trucker convoy protest. From what I can gather, there aren’t a lot of Conservatives who think the police need more power than they had at the Siege of Ottawa.
Charest’s bet is that the Conservatives will be more interested in getting back to power than in throwing in their lot with a “pseudo-American,” as he called Poilièvre. Or that people who weren’t Conservative members at the beginning of the year will take out enough memberships to carry their pragmatist champion to the top job. “The Liberals [that is to say, Trudeau’s] didn’t lose the 2021 elections,” he said. “It’s the Conservatives who lost, because they got distracted by all sorts of stupid things.” He waved in Poilièvre’s direction as he said it.
I would be amazed if Charest’s bet wins. He’s coming from so far behind. But I note that Poilièvre spent almost as much time pushing back against Brown’s attacks than against Charest’s. Which seems to indicate Brown is a factor in this race, thanks to his strategy of selling huge numbers of party memberships to new Canadians. Poilièvre must be happy that the only French debate is behind him, and that it was so painful to watch that almost nobody will have seen it. He could do without nights like Wednesday. The momentum he was enjoying until last week is something he’ll have to get back, somewhere else.
Merci. That's about the limit of my French but I truly appreciate you publishing in both languages. Great analysis as well
Oh, la belle surprise! Lorsque je me suis abonnée à cette infolettre, j'espérais un peu vous lire en français, et je suis servie aujourd'hui... Je suis ravie, car le Québec et le Canada ont besoin de ce genre de point de vue (pertinent et incisif) dans les deux langues officielles.