Vers un gouvernement de coalition
Le premier ministre devra composer avec son pire ennemi lors d’un second mandat.
(Chronique parue dans L’actualité, le 21 septembre 2022)
Une question posée à François Legault dès le premier jour de campagne, à savoir s’il n’est pas lui-même son pire ennemi, s’est avérée après trois semaines tout à fait pertinente : non seulement il l’est, mais il est un ennemi aguerri et redoutable.
Aucun autre chef des partis d’opposition n’a su causer autant de difficultés au chef caquiste que lui-même. Or, le premier ministre sortant, qui semble prêt à se faire réélire, sera condamné à gouverner en coalition avec le François Legault qui multiplie les maladresses. Cela risque de compliquer la vie d’un futur deuxième gouvernement de la Coalition Avenir Québec.
Un gouvernement réélu, surtout avec une deuxième majorité, peut normalement espérer sortir de sa campagne renforcé, avec la légitimité pour prendre des décisions difficiles et pour demander des concessions d’Ottawa. C’est certainement ce que souhaitait l’entourage du chef caquiste, qui entend ouvrir le bal des négociations avec le gouvernement fédéral de Justin Trudeau sur les transferts en santé.
L’analyse des stratèges du premier ministre a tout à voir avec les rapports de force : un Justin Trudeau exténué, face à une opposition vigoureuse dirigée par Pierre Poilievre, devrait acheter la paix avec les provinces pour éviter de mener une guerre sur deux fronts. C’est ce qui est arrivé à Paul Martin il y a 17 ans, quand, devant Stephen Harper et son nouveau Parti conservateur du Canada, il a vite conclu une entente généreuse sur les transferts pour la santé avec les provinces.
Ce scénario pourrait ne pas aboutir si Justin Trudeau constate, comme tout le monde le fera le 3 octobre, que François Legault n’est pas si populaire, qu’il a perdu des appuis au fil de la campagne, et qu’il pourrait bien prendre sa retraite de la politique avant même son homologue fédéral présentement en poste.
Il en va de même pour plusieurs segments de la population québécoise : les minorités culturelles, les premiers peuples et les jeunes, qui sont beaucoup moins nombreux à appuyer certaines politiques caquistes, dont la loi 21. Aucun des grands projets de François Legault ne pourra aboutir sans la coopération de certains groupes de la population ou d’un interlocuteur — que ce soit la mairesse Valérie Plante à Montréal ou le maire Bruno Marchand à Québec — dont l’appui n’a jamais été acquis et qui le sera encore moins après le 3 octobre.
Le Québec ne sera pas ingouvernable après l’élection, loin de là. Une majorité à l’Assemblée nationale est un outil puissant. Mais la politique est aussi une histoire d’êtres humains, et on a déjà pu mesurer, lors du Face-à-face à TVA la semaine dernière, le peu de patience dont François Legault dispose quand on l’oblige à écouter les critiques ou à affronter l’opposition.
Après les défaites de 2012 et de 2014, le chef de la CAQ ignorait s’il avait encore la volonté de poursuivre sa carrière politique. La question de sa succession ne se posera vraisemblablement pas au lendemain de sa réélection, mais tranquillement, au fil de son second mandat, elle reviendra. Et avec elle, la question de la pérennité d’une formation politique qui se définit difficilement sans son chef fondateur.