Le choix de François Legault
Le chef de la CAQ semble incapable d'éviter de se prononcer sur l'immigration
(Chronique parue dans L’actualité, le 14 septembre 2022)
Dans une épicerie à Saint-Anselme, en Chaudière-Appalaches, lors de la deuxième journée de campagne, l’homme qui scandait des slogans contre le chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ) pendant son point de presse (du genre « Legault, dehors ! » mais en employant un vocabulaire plus pittoresque) ne me semblait pas issu de l’immigration. Je n’avais pas non plus l’impression que le costaud agent de la SQ qui l’a aidé à trouver la porte de sortie s’attendait à devoir protéger François Legault uniquement contre des extrémistes venus d’ailleurs.
Je conviens avec le premier ministre que les Québécois sont « tissés serré ». Toute ma vie, j’ai apprécié la générosité et l’esprit de communauté des Québécois, dont j’ai beaucoup appris.
Mais il arrive que, parmi les mailles de cette belle étoffe, s’en trouvent certaines portant les noms de Denis Lortie, Alexandre Bissonnette, Martin Couture-Rouleau ou Richard Henry Bain. C’est-à-dire des individus aux racines québécoises des plus profondes, mais qui ont fait des gestes d’une violence politique inouïe. La guerre des motards, la crise d’Oka, même les émeutes après un match de hockey ou sur les plaines d’Abraham à la fin d’une Fête nationale démontrent que, pour qui cherche les racines de la « chicane », ce n’est pas tant dans le défi de l’intégration qu’il les trouvera.
J’aurais préféré éviter le sujet délicat de l’immigration dans mes chroniques électorales. Mais voilà, François Legault, lui, refuse de faire pareil, alors je n’ai pas vraiment d’autre choix que de l’aborder.
On peut se faire croire que le chef de la CAQ ne livrait pas le fond de sa pensée lorsqu’il a dit, le 7 septembre à Victoriaville, que le taux d’immigrants devrait demeurer bas parce que « les Québécois sont pacifiques. Ils n’aiment pas la chicane, ils n’aiment pas les extrémistes, ils n’aiment pas la violence. Donc il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là actuellement. » Il s’est excusé plus tard d’avoir associé immigration et violence. D’accord.
Lundi, il s’est limité à tracer un simple lien entre immigration et cohésion sociale. Le malaise. « Je pense qu’une des raisons pourquoi les Québécois ont suivi les consignes plus qu’ailleurs, c’est parce qu’il y a une cohésion nationale au Québec. Les gens sont autour de certaines valeurs et on est une nation tissée serré. Mais pour qu’il y ait une cohésion nationale, il faut qu’il y ait une nation, une nation forte. Et la nation québécoise, pour être forte, il faut protéger le français. Sinon, il y a des inquiétudes », a dit François Legault.
Les chefs des autres formations politiques se sont empressés de dénoncer ces propos. « Minable », a réagi Dominique Anglade, du Parti libéral. « Ça a toujours l’air d’être un problème pour lui, l’immigration », a jugé Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire.
Et voilà justement l’intérêt stratégique pour François Legault d’associer immigration et troubles sociaux : s’il est le seul à dire tout haut ce que bien des gens pensent tout bas, et que l’expression de l’opinion contraire est divisée entre deux ou plusieurs chefs de partis différents, il peut espérer récolter les appuis des électeurs qui sont inquiets par rapport à l’immigration.
Les sondages montrent que cette préoccupation est partagée par bien des électeurs : une enquête d’opinion de la maison Léger, en mai, pour le compte de TVA révélait qu’un Québécois sur cinq voulait que le Québec accueille moins de 50 000 immigrants, 23 % désiraient en recevoir plus, tandis que 43 % souhaitaient qu’on limite leur nombre à ce seuil de 50 000. Le point de vue exprimé par le premier ministre « est surtout une crainte de ceux qui n’habitent pas à Montréal », selon le sondeur Christian Bourque.
C’est un paradoxe connu : ceux qui côtoient plus souvent les immigrés les estiment le plus.
Les sondages montrent aussi que la méfiance envers les immigrants est semblable ailleurs au Canada : à peu de choses près, des proportions identiques de Canadiens hors Québec et de Québécois jugent qu’il y a trop d’immigrants.
Et pourtant, lors de la campagne électorale provinciale en Ontario le printemps dernier, le premier ministre sortant, Doug Ford, dont le style politique est par ailleurs très semblable à celui de François Legault, cherchait plutôt activement à accueillir plus d’immigrants dans sa province pour combattre la pénurie de main-d’œuvre.
C’est la preuve qu’un premier ministre a toujours le choix : il peut conforter des préjugés ou les affronter. Aux électeurs de juger de ce choix.
Ouais, il me parait que la situation s'empire et s'empire, et que les politiciens ne veulent pas vraiment discuter tous les problemes resultant de l'immigration. Un explosion ou conflit est peut-etre inevitable.