Barrage de questions
La proposition de François Legault de relancer les grands chantiers hydroélectriques est riche d’enseignements.
(Chronique parue dans L’actualité, le 7 septembre 2022)
Il y a des jours où on se demande si, malgré tout, on n’aurait pas une petite influence sur la suite des choses. Ici même, il y a une semaine, j’ai cité L’énergie du Nord de feu Robert Bourassa, son appel en forme de livre à une deuxième Baie-James, afin d’illustrer l’écart entre les ambitions des leaders politiques de ma jeunesse et celles des chefs d’aujourd’hui.
Or, voilà que François Legault a annoncé, mardi à Bécancour, de nouveaux projets de centrales hydroélectriques. Dans des termes qu’aurait privilégiés l’ancien premier ministre québécois, ces nouveaux barrages seraient à la fois « le plus grand chantier économique » de l’histoire du Québec et son « plus grand chantier écologique ».
Une source proche de M. Legault m’a rassuré et affirmé catégoriquement que le chef de la CAQ aurait présenté cette patente même en l’absence de ma chronique de la semaine dernière. « On n’improvise pas une sortie comme ça », ajoute la source, qui précise que, pour décarboner l’économie, « le cocktail éolien-hydroélectricité est le meilleur cocktail qui soit ».
De là à savoir où seraient construits les barrages qui permettraient de concocter ce cocktail, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Les annonces quotidiennes du premier ministre sortant sont chiffrées presque au sou près — 21 millions de dollars pour un programme agroalimentaire dans les écoles primaires, 235 millions pour l’hospitalisation à domicile —, mais sur les barrages, rien.
Tant mieux : pour l’instant, toute évaluation des coûts relèverait de la politique-fiction. François Legault n’a même pas sondé Sophie Brochu, la PDG d’Hydro-Québec, sur la faisabilité d’un tel projet. Et pourtant la question se pose. Face à une résistance acharnée des groupes autochtones, le projet Grande-Baleine cher à Bourassa — un gigantesque complexe au nord de celui qui porte désormais son nom — s’est soldé par un échec. Jacques Parizeau a annoncé son annulation en 1994, après son élection. François Legault saura-t-il mieux que Robert Bourassa et Daniel Johnson fils, il y a 30 ans, mener à terme un mégaprojet hydroélectrique ?
Il arrive à François Legault de changer d’avis. Ç’a été le cas pour la réforme électorale, qu’il avait promise de concert avec les chefs des autres partis d’opposition en 2018 avant d’estimer, une fois au pouvoir, que personne n’en voulait. Idem pour sa suggestion, au plus fort de la pandémie, de taxer les non-vaccinés, projet qu’il a dit avoir abandonné pour préserver la paix sociale (et qui, de plus, aurait été extrêmement difficile à appliquer).
Son annonce a au moins le mérite de souligner l’énorme demande en énergie propre que suppose la cible de la carboneutralité en 2050. De deux choses l’une : ou bien il faudra consommer moins d’énergie, ou bien il faudra en produire plus. Restreindre la croissance de la demande, ça sent l’austérité. Il n’est pas surprenant que François Legault y soit allergique.
On peut douter de l’opportunité du choix de l’hydroélectricité et surtout de sa faisabilité. Je serais moi-même étonné de voir de nouveaux barrages s’ériger au Québec. Il faut se rappeler à quel point le projet Grande-Baleine a suscité de l’opposition non seulement chez les Cris et les Inuits du Québec, mais chez les groupes écologistes à l’échelle internationale. François Legault évoque souvent le manque d’« acceptabilité sociale » pour justifier la fin de non-recevoir qu’il oppose au projet de GNL au Québec. On verrait vite si le même critère permettrait de meilleurs résultats pour l’hydroélectricité produite sur des terres ancestrales du Nord. Un indice : la publication canadienne de gauche Rabble qualifie les nouveaux projets hydroélectriques ailleurs au Canada de « génocide faussement vert ».
Ce qu’on retient de la surprenante annonce de M. Legault, c’est que même une élection qui paraissait d’entrée de jeu peu intéressante — tant le résultat semblait programmé — impose des choix difficiles et importants aux candidats. C’est le cas du débat sur les seuils d’immigration, sur la langue et la laïcité, sur l’utilisation du Fonds des générations ou encore sur l’opportunité d’envoyer des chèques tous azimuts pour atténuer les effets de l’inflation.
N’étant pas québécois, je ne veux pas trop prodiguer des conseils aux lecteurs. Je note seulement que l’époque est peu propice à l’esquive. De grandes décisions doivent se prendre à un rythme sans précédent, qu’on le veuille ou non. C’est peut-être ce dont Emmanuel Macron parlait lorsqu’il a évoqué la fin de l’insouciance.